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Les Autres Japonais

Exploration sociale et vie d'un papa étranger au Japon.

Masaru

 57 ans, le cheveux grisonnant, le teint blafard surtout du mercredi au vendredi, jour où Masaru se prélasse et s'ennuie. Mais il a ce sourire écarlate qui plisse son visage malicieusement. Il a grandi ces premières années au Vietnam, au temps de la guerre, où son père travaillait comme diplomate à l'ambassade du Japon. Il se souvient des notions de français qu'il a apprise. Le croustillant de la baguette de là bas, les cours d'histoires qui faisaient l'apologie du colonisateur, l'amour sincère des vietnamiens pour cette France mythique.  

De cette France, Masaru a gardé le meilleur pour lui. La joie de vivre, l'insouciance, du moins ce qu'il croit voir de l'âme de la France. "Du pain, du vin et euh.." dit il avec une gestuelle d'entrain, mais le boursin s'est perdu en cours de route. Il se le rappelle parfois, entre les pauses qu'il s'accorde au bureau. " Je connais une technique trés bonne pour dormir sans éveiller les soupçons" me confesse t-il à un déjeuner, tressaillant comme un gamin. " Je peux dormir les yeux ouverts, je bouge mes mains sur le clavier et mes subordonnés croient que je travaille; je t'apprendrais si tu veux !". Ses subordonnés, ils se comptent au nombre de 20. Parmi eux, certains m'envoyèrent des photos de lui dormant la bouche ouverte et la tête en arrière en plein après midi. 

Masaru n'a plus que 3 ans avant la retraite. "Enfin ne rien faire pour ne rien faire, le bonheur assuré!" me dit-il. Ces mots prêteraient à sourire pour qui ne le connaîtrait pas. La solitude, Masaru la connaît depuis 17 ans. Marié, deux enfants, deux filles, la vie a pris un cour différent le jour de la maladie de sa femme, alors âgée de 36 ans, maladie anonyme qui lui prit son dernier souffle trop tôt. 

"Je ne me souciais de rien à l'époque, ni du futur ni du passé, il n'y avait que le présent" me dit-il, un soupcon d'amertume échappant à la rigueur de sa jovialité. Plus il ne dit plus rien à ce sujet. 

Nous sortons le soir dans des izakayas. "Rien que toi et moi, entre hommes" lance t-il en français. Nous buvons à satiété, nous buvons même trop. Je prends mes cachets de turmeric, ウコン, aidant à l'assimilation de l'alcool mais Masaru décline. "Je préfère que l'alcool reste dans mon sang le plus longtemps possible, c'est tellement plus agréable." Et la radioactivité dans tout ça ? "Quel bonheur de devenir une centrale nucléaire phosphorescente, je vivrais pendant 500 ans grâce à toute cette radioactivité! Peut être que je n'aurais plus besoin de payer mon électricité ??" réplique t-il, avec le même sourire d'enfant. 

Masaru, du temps de l'Université - l'Université de Tokyo - était champion de course et de natation. "J'étais le meilleur de mon groupe, je courais le 1500 mètres à 4 minutes et 12 secondes, c'était le score le plus rapide. Et quand je vois les coureurs du marathon du nouvel An qui parcourent chacun 20 km à la même vitesse que je faisais sur 1500 mètres, je ne peux m'empêcher d'être admiratif". La natation lui a forgé un corps d'athlète, aujourd'hui un peu désséché mais gardant la charpente de ce qu'il avait été en ces temps là. 

Toujours gourmand de nouvelles françouillarde, je lui enseigne un des mantras des Shaddoks "S'il n'y a pas de solutions c'est qu'il n'y  a pas de problèmes". Une philosophie qu'il accueille d'un fou rire et m'en enseigne l'équivalent japonais. Une philosophie qu'il pourrait faire sienne dit-il "Si seulement cela pouvait régler le problème de ma fille boulimique. Elle vit à New York, seule, et a eu ces troubles psychologiques depuis son adolescence". Il prend une pause. "Ce qu'il faut c'est communiquer régulièrement, ne jamais ralentir ou stopper le rythme, toujours parler, que ce soit dans le calme ou la colère. Je ne vois que cela comme médecine qui marche." 

Masaru ne cherche pas à cacher sa fragilité, il garde peu ses secrets, sans doute veut il montrer qu'il est sans secret. Me vient à l'esprit le personnage de Natsume ( Le Coeur Régulier d'Olivier Adam), et cette phrase :"Tu sais qui je suis. Je suis tel que tu me vois, je suis sans secret. Il y a des gens sans secrets tu sais." Par choix ou par circonstances, le secret implique le devoir de mentir, et mentir c'est assassiner une part de notre monde quelqu'un disait. 

Masaru, en dépit des épreuves parcourues, ne voit que la vie en rose partout où son regard se pose. Ne surtout pas mentir, ne dire que la vérité, la contempler et l'entretenir, la préserver. 

Dans ses sourires et ses mines réjouies d'enfant émerveillé, me viennent enfin ces derniers mots du même livre, quand Sarah demande à Natsume s"il y avait un sens à la vie, et sa réponse :"Il n'y a pas de sens il y a juste la vie, et il faut la vivre. Comme une plante vit. Comme un animal vit. Inspirer, expirer. C'est tout.

Ces mots là pourraient bien être ceux de Masaru.

 

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