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Les Autres Japonais

Exploration sociale et vie d'un papa étranger au Japon.

Dans le train du matin

Mon thé à l’abricot m’a donné un élan soudain pour écrire ce que je mijotais dans ma moitié de sommeil ce matin. Comme chaque jour de la semaine, je prends mon train de 7h47. Je fais la queue dans la même file, souvent aux côtés des mêmes gens tous les jours. Se rendent-ils compte comme moi que nous nous retrouvons toujours au même endroit, à la même heure ? Bien sûr, parfois un habitué disparaît, remplacé par un autre, qui à la longue, prend sa place dans cette scène répétitive. Etonnamment je pourrais vous parler de toutes ces jeunes filles qui provoquent en moi une réaction hormonale passagère, mais j’aimerais commencer par cet homme d’un certain âge.

Cet homme donc, toujours vêtu d’un jeans et d’une chemise décontracté, avec une doudoune sur le dos en hiver, se pointait chaque jour à la même heure avec une cannette de shochu à la main. Il sentait l’alcool, il était maigre, presque chauve et ressemblait à un professeur d’université partant se noyer dans un bureau ravagé par un tsunami de paperasses. Il ne s’asseyait jamais dans le train, il tenait sa cannette et la buvait par petites gorgées, le regard sec et toujours fixé vers l’extérieur. Cet homme était vraisemblablement un alcoolique, quel estomac pourrait supporter de l’alcool pour le petit déjeuner ? Autant son apparence ne laissait rien transparaître : maigre, chauve, barbu, lunettes rondes sur le nez, bref insoupçonnable. Un beau jour il ne vint plus.

Il y a aussi cette femme, toujours figée d’un sourire benêt, roulant des yeux et tournant la tête comme si elle valsait perpétuellement avec Mickey Mouse. A mesure que je l’observais avec plus d’attention, je me rendais compte qu’elle se parlait, et à voir son visage, ça ne devait être que de choses gaies ou bien attentionnées. Puis ses yeux se plissent sans crier gare, des tics nerveux intermittents, et la tête qui reprend sa valse. Cette femme, je m’en suis rendu compte il y a peu de temps, descend à la même station où se trouve mon travail.

Une autre femme, cette fois une femme plus jeune, elle, aussi, souvent souriante mais moins pittoresque. Grande de taille, elle s’habille souvent sexy mais son attitude semble ne pas coller à l’identité vestimentaire qu’elle se donne. Un peu comme si porter une jupe au ras du robinet était tout ce qu’il y avait de plus naturel hormis que ces chaussures, indescriptibles, pouvaient laisser perplexe quant à la cohérence du tout. Cette jeune femme, en apparence tout à fait normale et somme toute peu enclin à attirer l’attention, est habitée d’une étrange manie. Du départ du train, où les places assises sont disponibles, jusqu’à ma destination, cette jeune femme ne cesse de faire des allers et venues entre 3 wagons, marchant d’un pas nerveux et levant le nez cherchant Dieu seul sait quoi. Après 4 stations, les wagons atteignent le stage de la boîte de sardine à l’huile d’arachide, et on constate dans les rangs une légère bousculade provoquée par ladite jeune femme.

Du fait de la congestion, les effluves, d’abord légères, rendent l’air plus lourd et humide. C’est dans ces instants là que je remarque à nouveau cet homme, d’un certain âge, éternuant comme un canon de DCA. Et si je ne peux le remarquer, du moins je peux l’entendre. Pas d’erreur c’est toujours lui.

La jeune fille en mini-jupe du matin a bien une dizaine de clones dans le même périmètre. Si vous me demandez à propos d’une, je vous donnerais la même réponse que pour toutes les autres. Tout n’est que passager, l’observation, la réaction hormonale et le temps demeuré dans ma mémoire. Chaque matin pourtant je les retrouve, pas toujours en jupe, parfois en jeans, en plus austère. Celle-ci a toujours les cheveux légèrement humides, signe qu’elle a pris sa douche avec son petit déjeuner. Celle-là emporte toujours avec elle son ouvrage de biochimie et dévore son contenu chaque matin. J’y suis donc, elle les cheveux mouillés, l’autre le livre de biochimie. Mais pour les autres je ne saurais vous dire.

Comme si l’acquisition d’une caractéristique, aussi banale soit elle mais qui fait que l’on est soi et unique dans une foule, n’était pas une chose nécessairement à la portée de tous. La véritable originalité, est-elle en soi de faire le contraire de ce que les autres font, opposer le chaos à la discipline, ou est-ce être soi-même sans vouloir faire comme un autre, désirer être ce que l’on est vraiment, être sans désirer quoi que ce soit, en étant, simplement ? La différence qui dépeint la présence d’une personne plus fortement qu’une personne dite « du décor » est, pour moi, mais je ne n'invente vraiment rien ici, la véritable originalité.

Dans l’environnement du travail, mais aussi en dehors, j’aime traquer cette originalité, même à l’état de soupçon. Dans des conditions de stress, mais aussi inversement dans un parc, détendu sur un banc, la raideur de ce salaryman anéanti par le pet bruyant qu’il a libéré dans son extase sous le souffle du vent de l’automne, son visage esquissant, a la cadence d’un coucher de soleil, un sourire vrai. Ce que l’on voit dans le Japon de la masse, la force de la communauté, l’annihilation de l’individualisme, nous pouvons entrevoir ce qui, pour nous, ne sont que des signaux futiles, parfois imperceptibles à nos sens rodés à la surenchère, mais suffisamment forts pour égratigner la dure carapace de l’environnement humain où nous vivons.

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V
Je me suis déjà demandé si les gens se rendait compte que tous les soirs à la même heure, ont était tous dans le même bouchon sur le pont de l'entrée de la ville. Je crois que seul la personne qui<br /> se pose la question s'en rend compte mais que puisqu'il n'en parlera jamais, personne ne le saura.
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G
<br /> <br /> Jusqu'au jour ou l'un d'entre eux en parle ou l'ecrit ? Jusqu'au jour ou le "on" devient des visages differencies, des mimiques, des attitudes et, sur le pont, une voiture d'un certain modele,<br /> d'une certaine, une certaine personne dedans... Bref, une mine d'or a exploiter! Bien amicalement.<br /> <br /> <br /> <br />
J
En tous cas, accorder même une seconde d'attention à ceux que l'on croise quotidiennement, les remarquer quelle que soit leur différence, c'est leur donner une place au milieu de la foule<br /> indifférente...
Répondre
G
<br /> <br /> Mais en fait, peut etre la foule n'est pas elle pas si indifferente que cela. Ce n'est que son silence qui la rend ainsi.<br /> <br /> <br /> <br />