Madame Yamamoto a 27 ans mais elle en fait 10 de plus. Cheveux coupés à la garçonne, coiffés au gré de ses tourbillons nocturnes sur l’oreiller, elle trimballe son sac à dos vert kaki en marchant les bras ballants, chaussée de baskets usées jusqu’à la corde. Tous les jours, elle se rend à ses cours d’informatique vêtue ainsi, ayant laissé au placard jusqu’au dernier soupçon de sa féminité. Elle vit dans cette banlieue de Tokyo, mariée bien malgré elle, après une partie de jambes en l’air qui a eu pour conséquence la naissance d’un petit garçon. Sur sa photo de mariage, elle pose, le ventre rond, avec un sourire durement arraché au côté du géniteur, au ventre également proéminent.
« Mon fils me fatigue, il ne veut rien manger de ce que je fais » dit elle, d’un ton las. Les nuits, elle les passe seule, son mari dort avec son fils, lui donne le bain et le promène durant tout le weekend. Madame Yamamoto peut ainsi s’adonner à son passe temps favori : l’apprentissage du français, qu’elle maîtriserait d’ailleurs plutôt bien, si ce n’était sa voix empreinte de lassitude.
« Je veux partir en France et me marier avec un français » dit elle, articulant chaque mot. Depuis ce séjour éclair d’une semaine qu’elle a passé en France, voyageant de Paris au Mont Saint Michel et à Nice, son dévolu s’est jeté sur ce pays du romantisme, du bon goût, là où les hommes traitent les femmes comme des reines et se soumettent au moindre de leurs caprices. Pays de l’élégance où toutes les femmes s’habillent chez Chanel, portent un sac Vuitton et passent leur temps à dépenser l’argent durement gagné par leur mari.
Madame Yamamoto ne se soucie pas de l’avenir de son couple. Chacun semble vivre de son côté avec un enfant qui ne sert même pas de trait d’union. Après avoir commis l’erreur d’être tombée enceinte, Madame Yamamoto a décidé qu’on ne l’y reprendrait plus. Finis les vêtements de femme, place aux pantalons amples, aux falzars de bagnards à l’entrejambe dégringolant, une veste kaki de pêcheur, le maquillage à la poubelle et l’allure si peu féminine dans un pays qui pourtant rivalise avec le monde entier. Elle déambule ainsi dans les rues, hiver comme été, accoutrée de la même façon, trimballant son éternel sac à dos énigmatique.
Sur les photos d’il y a 3 ans, Mademoiselle Yamamoto ressemblait à ces jeunes filles qui cherchent à plaire, les cheveux longs, le visage fin rehaussé de phare à joues, un mascara discret ravivant l’éclat de ce regard d’amande noire, et surtout, un sourire donnant au visage entier le plissement de cette joie impatiente qui attire le bonheur.
Sur l’illusion d’un sourire, enivrée, et en manque de tendresse, un bref instant partagé a tout changé en elle. Elle ne voulait que du plaisir, lui aussi. Etre enceinte sans être mariée ne lui a pas laissé d’autre choix que de cimenter cette union partie du mauvais pas. Lui, de son côté, assume pleinement l’éducation et l’avenir de son fils. Elle a décidé qu’elle n’était plus une femme pour plaire ici, ni à lui ni à son fils, ni même aux autres hommes de ce pays. Elle est une femme que l’usage a poussé à se marier parce qu’elle était enceinte. « Que penseront les voisins s’ils savent que tu es enceinte alors que tu n’es pas mariée ? » lui avait dit sa mère, guettant les allers et venues du voisinage et le regard que les autres posaient sur son foyer.
Dans une culture où l’on se doit de cultiver avec attention l’image que l’on renvoie, Madame Yamamoto s’est résignée à cette image de femme qui n’espère plus rien de son pays, de ses compatriotes.
Elle rêve toujours pourtant de cette France qui lui offrira une vie meilleure, où elle trouvera le grand amour comme Amélie Poulain. Cette France qui, elle n’y pense pas, enfante également ses victimes de la désillusion où le choc de la réalité creuse plus profondément ce désenchantement qu’elle traîne sur son dos.