20 Août 2008
Hiroaki et Ayako sont un jeune couple de 35 ans. Ils se sont rencontrés au collège, faisant leur scolarité ensemble sans jamais oser apprendre à se connaître devant les autres. Secrètement pourtant ils se convoitaient. Ce n`est qu`au moment de se séparer pour l`université qu`un premier baiser fut échangé.
Hiroaki partit pour l`université de Keio pour étudier les sciences politiques. Ayako, elle, s`inscrivit à l`université de Nihon où elle étudia l`anglais et les arts. Pendant 4 ans, la vie estudiantine leur offrit le loisir de sortir souvent ensemble, séchant les cours des professeurs indifférents. De toute façon, le diplôme était déjà acquis car le nom seul de l`université comptait. 4 ans de bohême, de vie romantique, insouciante et goûtant avidement au jour le jour chacun des plaisirs nouveaux qu`ils trouvaient à chaque nouvel endroit, chaque instant imprévu où leur quotidien voulait bien les conduire. Hiroaki ne vivait que par les yeux d`Ayako. Elle ne vivait que par le souffle d`Hiroaki. Ils s`étaient promis, à la fête annuelle de Keio, la dernière année avant le diplôme, qu`ils se marieraient. Ils s`étaient promis de s`acheter une maison où ils vivraient tous les deux, avec des enfants. Peut être.
10 ans ont passé. Hiroaki travaille dans une banque où il occupe un poste d`account manager pour la gestion et la vente de mutual funds à des particuliers. Ayako travaille à mi temps dans un jardin d`enfants. Ils vivent dans 45 mètres carrés dans la banlieue ouest de Tokyo. Chocolat, leur yorkshire de 2 ans, y a sa petite chambre toute équipée. Un lit douillet, une écuelle différente pour chaque repas, des dizaines de jouets, dont certains sophistiqués destinés à développer l`intelligence et les réflexes. Chocolat raffole particulièrement de son jouet en caoutchouc qui fait pouet pouet. Il est coiffé d`un nœud papillon rose en soie. Son collier est incrusté de faux diamants dans un cuir imitation serpent. Hier Chocolat a eu son shampooing au salon de beauté, il sent bon la lavande ce qui lui donne le droit à davantage de câlins. Il est 22h30, Hiroaki rentre enfin, le repas est prêt pour toute la famille, Ayako a passé du temps à préparer avec amour un plat savoureux fait avec les meilleurs produits du marché pour ses deux hommes. Chocolat aboie d`impatience, Hiroaki le saisit dans ses bras et le couvre de baisers. La famille est au complet, le repas peut commencer. Chocolat a sa petite serviette autour du cou, il mange sans attendre sous le regard attendri de ses deux parents. Ce week-end, ils iront au parc jouer ensemble, le soleil brillera et les prémices de l`été chargeront le vent d`une douce moiteur.
Où sont passés leurs rêves de jeunesse ? Un enfant, désormais, Hiroaki et Ayako ne l’envisagent plus. Trop cher, disent-ils. Les frais de l’accouchement, la précarité qu`engendre un foyer où seul l’un des deux travaille, le manque d`espace et le coût de l`éducation ont sonné le glas de ces projets jadis faits avec amour. « Un animal procure le même bonheur qu’ un enfant pour beaucoup moins cher. Avec un chien, pas besoin de payer l`école et il reste éternellement un enfant que l`on peut cajoler ».Hiroaki et Ayako ne sont pas les seuls dans cette situation. Dans la société de consommation japonaise, très fortement ancrée dans les consciences et les habitudes, le marché animalier est plus développé que le marché du nouveau né. Dans les supermarchés, la différence est flagrante : ce que l’on croyait être un rayon jouets pour enfants, était en réalité un département entier pour animaux. Les prix sont plus abordables et avec l`animal, on peut se laisser aller à toutes les fantaisies vestimentaires, il n`en aboiera pas moins de joie et ne limitera pas ses doses de câlins.
La baisse de la natalité au Japon n`est désormais plus un problème social ou politique, c`est une fatalité. Les besoins financiers pour l`accueil d`un enfant, exacerbé par le souci obsédant de sécurité pour les familles japonaises entraînent un double effet pervers : celui de ne pas avoir d`enfant et celui de concevoir des enfants à un âge trop tardif lorsque la situation matérielle est bien assise. Ajouté à l’augmentation de la stérilité de la population, le nombre d’enfants se fait plus rare. En politique, on parle déjà de faire venir de la main d`œuvre étrangère.
Etrange dilemme auquel doit faire face aujourd’hui ce peuple insulaire, protégeant son peuple et sa pureté, préférant l`accroissement d’un melting- pot, au risque d`exacerber le nationalisme ambiant, plutôt que de s’orienter vers une politique plus nataliste.